Cercle Archéologique
Hesbaye-Condroz
L’usage du détecteur à métaux. Nouvelles règles en Région wallonne
Christelle Draily, Cécile Ansieau, Dominique Bosquet, Alain Guillaume, Véronique Moulaert & Olivier Vrielynck
1. Rappel des règles autorisant la mise en œuvre ou la participation à une fouille archéologique en Wallonie
Pour pouvoir effectuer des sondages ou des fouilles archéologiques, il est obligatoire d’introduire une demande d’autorisation à l’administration wallonne selon la procédure décrite dans le Code wallon du Patrimoine (CoPat) à l’art. 34, au moyen d’un formulaire disponible sur le site de l’AWaP. Les interventions liées à cette demande sont assimilées à de l’archéologie programmée.
Pour participer à des fouilles bénéficiant d’une autorisation, vous pouvez vous adresser aux archéologues de l’AWaP qui réalisent essentiellement des fouilles préventives et vous pouvez proposer votre aide pour les différents chantiers en cours.
Qu’il s’agisse d’archéologie programmée ou préventive, il est nécessaire d’enregistrer correctement et systématiquement toutes les informations parce que fouiller, c’est comme détruire les pages d’un livre au fur et à mesure qu’on le lit. L’autorisation accordée vise à garantir la bonne conduite des fouilles et de toutes les autres opérations, en utilisant les moyens et compétences nécessaires à la démarche scientifique.
Dans toutes les situations, il est essentiel de laisser scrupuleusement tous les vestiges en place sans se laisser gagner par la fièvre de la trouvaille en les prélevant de suite, ce qui, bien souvent, revient à détruire le contexte des objets mis au jour. Toute nouvelle découverte est essentielle pour la connaissance de notre passé car les techniques de fouille et d’analyse ont tellement évolué et évolueront encore, que chaque nouvelle fouille est susceptible d’apporter des informations inédites, même sur un site connu.
2. Pourquoi l’usage inconsidéré des détecteurs à métaux est-il néfaste pour la protection de notre patrimoine archéologique ?
Tout simplement parce que, comme la fouille, retirer des objets de leur contexte est une action destructrice. Le patrimoine archéologique est vulnérable, fragile et surtout non renouvelable. En outre, il appartient à tous.
Un objet retiré de son contexte (fosse, fossé, trou de poteau, tombe...) perd la majorité des informations qu’il peut nous apporter. Si l’archéologie d’autrefois était essentiellement motivée par la découverte du bel objet, la discipline actuelle a une toute autre vocation, tournée à présent vers la contextualisation des objets recueillis sur le terrain plus que sur l’objet en lui-même. La localisation précise des artefacts, leurs interdépendances ainsi que l’étude de leur environnement nous renseignent sur un mode de vie, un rite funéraire, une bataille… Autant d’informations que l’objet seul ne peut nous apporter. Lorsqu’on creuse pour prélever un artefact, sans faire de fouilles archéologiques et surtout sans le situer dans l’espace, on brise pour toujours le lien entre cet objet et son contexte, c'est-à-dire le site dont il fait partie. Ce n’est qu’en se livrant à une fouille étendue avec tout ce que cela comporte – identification des couches, relevés graphiques et photographiques, prélèvements, analyses diverses... – qu’on pourra comprendre à quel type d’implantation l’objet est relié : village, cimetière, champ de bataille, habitat, atelier…. Alors, seulement, il pourra nous livrer son histoire. Prenons par exemple le soldat découvert en 2012 à Waterloo (Hougoumont), dans le cadre d’une fouille préventive. Des objets qui semblent aussi banals qu’une balle de mousquet ou des pièces de monnaies ont permis de reconstituer l’histoire de ce soldat. La position du projectile et des ossements a permis de conclure à une mort rapide par une balle française l’ayant percuté de face. Les pièces de monnaies d’origines diverses contenues dans son aumônière nous apprennent qu’il était hanovrien (Bosquet et al., 2015). Si les balles de mousquets, les pièces de monnaie ou encore les autres objets associés au défunt avaient été récoltés isolément, sans relevé de situation et de contexte, ils n’auraient pas pu livrer ces informations.
Voici quelques contre-exemples malheureux qui montrent la perte d’informations lors de l’extraction d’un objet hors de son contexte :
- À Vieuxville en 1979, une grande zone d’un cimetière de la fin de l’époque romaine et de la période mérovingienne a fait l’objet d’un pillage systématique au moyen de détecteurs à métaux. Le site a été fouillé scientifiquement par la suite mais des informations ont été irrémédiablement perdues, alors que nous sommes en présence d’un cas unique d’utilisation continue d’un espace funéraire du Ve au VIIe siècle.
- À Soy en 2011, un détectoriste a découvert un dépôt d’objets de l’âge du Bronze (vers 800 av. J.-C.). Ces objets ont été remis à la commune de Jalhay, propriétaire du terrain, et sont aujourd’hui exposés au Musée Curtius. Si ce geste est à saluer car il montre que la commune de Jalhay était bien consciente du fait que le patrimoine appartient à tous, il est cependant regrettable que l’enthousiasme du détectoriste lui ait fait exhumer tous ces objets. Une fouille par des archéologues professionnels aurait permis de déterminer s’ils avaient été déposés dans un tissu, un coffre, en pleine terre, simultanément ou à des moments différents… La fouille soignée et récente d’un dépôt similaire à Ribécourt, en France, a permis de noter l’ordre dans lequel les objets avaient été déposés dans la fosse ainsi que leurs positions exactes, mais aussi de repérer la limite de la fosse et la présence d’un trou de poteau à proximité qui signalait le dépôt dans le paysage (Guérin, 2017). C’est fondamental pour la compréhension du dépôt car cela signifie qu’il ne s’agissait pas d’une cachette.
- À Nismes en 2012, un détectoriste ayant mis au jour un bassin en bronze s’est rendu compte de l’intérêt de sa découverte et l’a déclarée. L’AWaP et le musée du Malgré-Tout de Treignes ont entrepris des fouilles et identifié les contours d’une fosse dont l’ouverture a révélé une sépulture à inhumation du Ve siècle après J.-C. L’endroit perturbé par le détectoriste a été repéré et la position du bassin en bronze identifiée. L’emplacement du bassin dans la tombe, aux pieds du défunt, et surtout son association avec d’autres objets ont fourni des informations essentielles à la compréhension de cette pièce et de la tombe qui la contenait. Hélas, des informations sur le contenu du bassin ont été perdues.
3. Depuis 2019, il est possible de demander une autorisation pour l'usage d'un détecteur dans des conditions bien strictes : pourquoi et comment ?
De 1989 à 2019, l’utilisation de détecteurs à métaux était interdite, à moins de disposer d’une autorisation de fouille. Cette interdiction était motivée non seulement pour les raisons évoquées plus haut, mais aussi pour des problèmes juridiques liés à la propriété du sol, aux dégradations de terrains et au recel. Toutefois, les sanctions étant rarement appliquées, de nombreux détectoristes peu scrupuleux ont pu agir librement.
La collaboration avec les archéologues était tolérée sur les chantiers SPW, par exemple à Villers-la-Ville, sur la traversée de l’Ourthe par la chaussée romaine Arlon-Tongres à Wyonpont, lors de sondages à Gouvy en 2019, lors de fouilles diverses à Arlon…
Certains sites, où la collaboration entre archéologues et détectoristes existe de longue date, ont livré des résultats extraordinaires : le site d’Oedenburg en Alsace (Biellman et al. 2018), où les détectoristes ont été associés aux prospections durant une dizaine d’années, est éloquent. Plus de 16.000 monnaies ont été découvertes et localisées précisément. Grâce à cela, il a été possible de comprendre l’évolution de l’occupation du site depuis le IIIe jusqu’au XIIe siècle. Cela montre également qu’il est important de déclarer chaque découverte car ce n’est parfois qu’au fil des ans, en rassemblant toutes les données accumulées, qu’on arrive à reconstruire un événement du passé ou à identifier un site.
Plus près de nous, à Waterloo, dans le cadre d’un vaste programme de recherche international et pluriannuel, l’usage de détecteurs a permis de mettre en évidence la répartition des balles de mousquet françaises et anglaises et, donc, les positions des uns et des autres lors de la bataille. Pour cela, la localisation exacte de chacune des balles a été enregistrée.
Cet apport positif du détectorisme ayant été reconnu, il est possible depuis juin 2019 d’obtenir une autorisation spécifique à la détection, sous certaines conditions. L’objectif principal est de réconcilier les archéologues et les prospecteurs qui respectent la démarche archéologique.
Par ce biais, le législateur souhaite également encourager une certaine pratique de l’archéologie accessible à tous. En cela, l’AWaP se conforme à l’article 12 de la Convention de Faro de 2005 (signée par la Belgique) qui concerne la valeur du patrimoine culturel pour la société et encourage chacun à participer au processus d’identification, d’étude, d’interprétation, de protection, de conservation et de valorisation du patrimoine culturel.
Enfin, autoriser la détection magnétique sous conditions rejoint l’une des missions premières de l’AWaP qui est l’identification et l’inventaire des sites archéologiques. Les vestiges archéologiques constituent un patrimoine bien souvent invisible donc majoritairement inconnu. Cela permet de rencontrer les attentes légitimes des passionnés du patrimoine et de l’histoire de «leur terroir». C’est aussi une manière d’assurer une vigilance à l’encontre de pratiques répréhensibles telles que le pillage et la fouille clandestine. La détection à des fins de collections d’objets archéologiques sans l’autorisation délivrée par l’AWaP, sans respect des règles strictes ou avec des intentions mercantiles reste un acte illégal (CoPat, art. 39).
4. Quelles sont les conditions et la réglementation à respecter pour obtenir l’autorisation d’utiliser un détecteur de métaux ?
Cette autorisation est soumise à une condition préalable : suivre une des séances d’information organisées régulièrement par l’AWaP. Le citoyen ne peut être responsabilisé que s’il est convenablement informé. La séance, d’une durée de 2 heures, a pour objectifs de sensibiliser les prospecteurs à la recherche archéologique et au danger que représente l’usage du détecteur à métaux pour le patrimoine, d’expliquer les procédures de signalement et les restrictions mentionnées dans le CoPat, de présenter les services archéologiques wallons et leur fonctionnement, d’encourager l’étude et la publication des objets découverts et de sensibiliser aux problèmes de conservation des objets métalliques.
L’autorisation, valable 12 mois, implique certaines règles à respecter : avoir minimum 18 ans, signaler l’activité de détection préalablement, avoir l’accord du propriétaire des terrains prospectés et déclarer les objets archéologiques découverts. Le propriétaire du terrain étant légalement propriétaire des biens situés dans son terrain, le prospecteur doit également disposer d’un accord concernant la dévolution des biens découverts afin de ne pas être poursuivi pour recel. Le bénéficiaire d’une autorisation est également tenu de remettre un rapport d’activité annuel. Il lui est interdit de prospecter avant le lever ou après le coucher du soleil, de creuser à plus de 30 cm de profondeur et de prospecter sur les biens classés, les sites en cours de fouille ou de sondage archéologique et les sites répertoriés sur la carte archéologique (lesquels ne représentent que 8% du territoire wallon). Il est également interdit de vendre et de sortir hors du territoire de la Région wallonne un objet découvert.
Les formulaires de demande/renouvellement d’autorisation, de déclaration d’activité et de découverte sont à compléter en ligne. L’activité est encadrée par un guide des bonnes pratiques également disponible sur Internet.
L’autorisation ne s’applique rigoureusement qu’aux détectoristes recherchant des objets archéologiques. Certains détectoristes font uniquement de la dépollution ; leur intention n’est pas de rechercher des objets archéologiques mais, ce faisant, il est prévisible qu’ils en mettent au jour. Dans ce cas, la loi sur les découvertes fortuites s’applique. Nous conseillons donc à tous les prospecteurs réguliers de demander une autorisation, même à ceux qui ne s’intéressent pas au patrimoine archéologique.
En effet :
- le risque de trouver des objets archéologiques est élevé, même hors site connu.
- Cela leur évitera la démarche fastidieuse d’appliquer la loi sur les découvertes fortuites à chaque découverte (Art. 40 : «(…) les biens archéologiques découverts et le périmètre qui les englobe doivent être maintenus en l’état, préservés des dégâts et rendus accessibles par le propriétaire, l’occupant et l’inventeur pour visite des lieux par l’Administration du patrimoine»). Cette découverte doit en outre être déclarée dans les trois jours ouvrables à la commune et à l’Administration du patrimoine.
Ils pourront ainsi pratiquer leur hobby sereinement sachant qu’ils respectent la loi.
5. Que deviennent les objets trouvés, qui en est le propriétaire et comment est garantie leur conservation ?
Les biens appartiennent au détectoriste si un accord le prévoit, à défaut au propriétaire du terrain. Le Code du Patrimoine demande de déposer les objets dans un musée ou un dépôt agréé par l’administration dont la liste est publiée sur le site de l’AWaP. Cette dernière clause a pour but d’éviter la disparition des collections lors d’un décès par exemple. Notez que déposer ne veut pas dire donner : le détectoriste ou le propriétaire du terrain prospecté peut rester propriétaire des objets.
6. Quels sont les premiers résultats un an après la mise en œuvre de cette nouvelle mesure ?
Le nombre de participants aux séances d’information démontre l’intérêt réel d’une ouverture vers les détectoristes. De nombreux amateurs éclairés considèrent cette loi comme une chance unique de prendre part de façon positive et collaborative à la recherche archéologique. Toutefois, seule une petite moitié des participants à ces séances a jusqu’ici demandé, et obtenu, une autorisation. Il est certain qu’une partie des prospecteurs jugent les obligations qui accompagnent l’autorisation trop lourdes. Sans doute faudra-t-il un peu de temps pour convaincre le plus grand nombre du bien-fondé de la nouvelle législation.
7.Quelques liens pour en savoir plus
Code wallon du Patrimoine : Autorisation pour procéder à des opérations archéologiques : art. 34 + arrêtés d’application (art. R.34.1-2) ; Cas particulier de la prospection au moyen d’un détecteur de métaux : art. R.34.3 -7
https://agencewallonnedupatrimoine.be/archeologie/ (cliquer sur «Autorisations de sondages et de fouilles archéologiques» ou «Cas particulier : l'utilisation d'un détecteur à métaux»).
https://www.wallonie.be/fr/demarches/demander-une-autorisation-pour-utiliser-un-detecteur-metaux.
https://www.wallonie.be/fr/demarches/declarer-une-activite-de-detectorisme.
https://agencewallonnedupatrimoine.be/wp-content/uploads/2020/06/guide-bonnes-pratiques.pdf où se trouvent les noms et coordonnées des agents à contacter
Un documentaire des années 1970 explique bien les difficultés, déjà à l’époque, de la mise en place d’une législation tant les acteurs sont multiples et les intérêts divers : https://www.sonuma.be/archive/ce-pays-est-a-vous-du-11101972.
Bibliographie
Ansieau C., Bosquet D., Charlier J.-L., Draily C., Guillaume A., Kestemont V., Landenne A.-S., Moulaert V. & Vrielynck O., 2019. Nouvelle législation sur le détectorisme : compte rendu de la première séance d’information (Amay, 12.06.2019). In : Pré-actes des Journées d’Archéologie en Wallonie. Libramont / Bruxelles 2019, Namur (Rapports, Archéologie, 9), [en ligne] https://agencewallonnedupatrimoine.be/wp-content/uploads/2020/02/preactes-jaw2019.pdf, p. 13-14.
Bosquet D., Yernaux G., Fossion A. & Vanbrabant Y., 2015. Le soldat de Waterloo. Enquête archéologique au cœur du conflit, Namur, 22 p. ; en ligne http://dgo4.spw.wallonie.be/DGATLP/DGATLP/Pages/Patrimoine/Pages/Directions/Archeologie/Soldat_Waterloo/Soldat-Waterloo-FR/files/assets/common/downloads/Catalogue-waterloo-web-FR.pdf.
Biellmann P., Gil D. & Kilka T., 2018. De l’antiquité tardive au haut moyen âge : les monnaies tardoantiques et altomédiévales d’Oedenburg (Biesheim-Kunheim, Alsace, France), The Journal of Archaeological Numismatics, 8, p. 125-173.
Guérin S., 2017. Ribécourt-Dreslincourt (Oise) : découverte des trois dépôts non funéraires de l’âge du Bronze, Amiens-Lille (Archéologie des Hauts-de-France, 8), [en ligne] https://nordoc.hypotheses.org/files/2017/12/Plaquette-Ribe%CC%81court-web.pdf., plaquette.
Plumier J., 2014. L’archéologie en Wallonie. L’archéologie en questions, Namur (Carnets du Patrimoine, 108), 59 p.
Les auteurs : Agence Wallonne du Patrimoine, Service public de Wallonie